« Dites, M’ame Oakland, pourriez pas m’dépanner ? »
Pilon m’a aidé à l’emporter jusqu’à sa voiture. Je souriais en la trimbalant.
Pilon m’a regardé d’un air interrogateur. « Eh ! Partage un peu qu’on rigole !, dit-il.
— Oh ! rien, je pensais, dis-je. Il sort vraiment des tas de cadavres d’ici dans des sacs à linge sale. Si ça continue comme ça, t’auras plus de corps à la fin de la semaine et pour pouvoir rester une morgue de grande ville respectable, il va falloir que t’ailles en emprunter à Oakland.
— Je me demande pourquoi j’ai posé la question », dit Pilon.
L’un aux pieds, l’autre à la tête, on était arrivés au milieu de la rue.
Pilon a ouvert le coffre de sa voiture et on a mis le corps dedans. Il a fermé le coffre et m’a donné les clés.
« Hé, dis donc, et mon pistolet ? », dit Pilon. « Quand vas-tu me le rendre ? Avec des voleurs de corps qui cavalent dans tous les sens dans cette saloperie de boîte, suivez mon regard, j’ai besoin de mon feu. Je me demande bien ce qui va se passer maintenant là-dedans, nom de Dieu. » De la tête, il m’a montré la morgue dont le capital-cadavres fondait à toute pompe.
« Le pistolet est compris dans les deux cents, dis je. Je te le rendrai demain en même temps que ta voiture.
— T’es dur, toi, en affaires, dit Pilon.
— Tu veux que je te le rende, ton corps ?, dis-je.
— Non, M’sieur.
— Tu as toujours été volage avec les dames, dis-je. Tu es sûr que tu ne veux pas la reprendre ?
— Elle est à toi, dit Pilon. Avec les deux cents dollars, je vais me payer du cul qui gigote. » Il est parti pour retraverser la rue, et puis, d’un seul coup, il a pilé ; facile avec son pilon. « Hé », dit-il. « T’as oublié de me cogner dans la mâchoire. Mon alibi. Tu te rappelles ?
— Tu parles, j’ai dit. Amène un peu ta mâchoire ici »
Je lui ai fichu un coup dans la mâchoire.
Sa tête a fait un bond de dix centimètres en arrière.
« Ça ira comme ça ? », j’ai dit.
Pilon se frottait la mâchoire.
« Ouais, ça ira. Merci « L’Œil ».
— Y a pas de quoi. »
Il est rentré dans la morgue pilon-pilant.